Le triple défi des énergies renouvelables

Le triple défi des énergies renouvelables – cas de l’énergie éolienne au Québec et ailleurs

Hydro-Québec mise aujourd’hui sur la filière éolienne pour augmenter sa production électrique. Suite à un appel lancé à la fin de 2021, la compagnie d’État vient d’accepter 1 303,36 MW de nouvelle puissance installée dont 1150 MW de puissance éolienne et vient de relancer un appel pour rajouter 1 500 MW.

Intégrer cette nouvelle production sur le réseau électrique est un défi technique sans précédent. Pourquoi? 

Le défi est triple.

  • Premièrement, l’introduction de turbines éoliennes induit une réduction de l’inertie totale en raison d’une électronique de puissance appelée convertisseur. En cas d’incident tel que la perte d’une grande installation de production et une inertie plus faible, la fréquence variera donc à la fois plus rapidement et plus largement.
  • Deuxièmement, la diminution de la part des installations de production conventionnelles affaiblit les signaux de référence de la tension. Par conséquent, l’onde de tension utilisée comme référence par le convertisseur dans les installations éoliennes (et photovoltaïques) est fortement perturbée par les variations de la charge et par le convertisseur lui-même. La tension n’est alors pas assez « forte », ce qui rend difficile la conversion du courant continu en courant alternatif.
  • Troisièmement, les contraintes de transmission en raison d’une production excédentaire des éoliennes, généralement pendant les périodes de faible charge, amènent l’opérateur de réseau à accepter moins d’énergie éolienne que ce qui est disponible. Il est donc nécessaire, dans certains cas, de réduire la production des éoliennes en dessous de leur niveau maximal disponible. On parle ici soit de contrainte (échelle locale) ou de congestion (échelle système). Ainsi, certains opérateurs envisagent la voie de l’extension de leur réseau de transmission par l’ajout de nouvelles lignes électriques. Cependant, il faut des années pour mettre en œuvre des nouvelles lignes et ceci reste très coûteux.

Pour répondre à ces enjeux, la Régie de l’énergie et InnovÉÉ Innovation Énergie Électrique mettent en place le programme FiabilitÉÉ : un programme de subvention finançant des projets de recherche collaborative dans le domaine de la fiabilité du transport d’électricité.

Il existe différentes solutions, à l’échelle du réseau électrique et à l’échelle de la turbine éolienne elle-même pour minimiser la congestion et renforcer la stabilité du réseau. Dans le cadre de cette chronique, j’explore quelques-unes de ces solutions technologiques.

A l’échelle du réseau électrique, quelles solutions pour intégrer plus de ressource éolienne?

Dans les réseaux électriques actuels, les systèmes de stockage d’énergie par batteries (BESS) sont reconnus comme des solutions potentielles pour les services de régulation de fréquence, dites de fréquence primaire (PFR).

La fonctionnalité PFR d’un BESS ramène la fréquence du système à un niveau stable dans les 30 secondes, après un événement de chute de fréquence. Les BESS peuvent également équilibrer la production et la demande en absorbant ou en fournissant de l’énergie en fonction des besoins du réseau. À titre d’exemple, la réserve de Hornsdale, en Australie, est le plus grand BESS lithium-ion avec une capacité de 100 MW/129 MWh. Il fonctionne depuis 2017 et fournit deux services distincts, notamment l’energy arbitrage (achat d’énergie à faible coût, en dehors des heures de pointe, et vente pendant les périodes de prix élevés) et le contingency reserve, cousine du PFR. En 2017, suite à l’arrêt inattendu d’une grande centrale électrique au charbon, le parc a pu réagir en quelques millisecondes en fournissant plusieurs mégawatts de puissance au système, évitant ainsi un potentiel black-out en cascade.

Les opérateurs se penchent également sur des BESS dotées de nouvelles commandes avancées, appelées Grid Forming (GFM). L’avantage de la mise en œuvre de contrôles GFM dans les batteries est que la stabilité peut être assurée par les ressources elles-mêmes au fur et à mesure qu’elles sont ajoutées au système. Ces solutions GFM sont testées en laboratoire, par exemple, dans le cadre du projet européen MIGRATE, et sur des micro-réseaux, mais pas encore à l’échelle de grand système électrique.

Dans ce qui a trait aux services de compensation de la tension, de nouvelles structures de compensateurs apparaissent et rendent la gestion de l’énergie renouvelable beaucoup plus souple. Parmi elles, la famille des dispositifs des FACTS (Flexible AC Transmission System) avec en figure de proue, les compensateurs synchrones statiques.

Il s’agit de machines synchrones tournant à vide qui fournissent de la puissance réactive au réseau. Lorsque la tension est perturbée, ces dispositifs sont capables de fournir ou d’absorber de la puissance réactive et ainsi de réguler la tension au point de connexion. Cette solution, utilisée en Allemagne, renforce et stabilise le réseau électrique allemand lors des transits de puissance entre les postes de production solaire situées à l’ouest et à l’est du pays et les centres de consommation situés dans le sud.

Autre exemple, l’Australie Méridoniale, dont le taux d’EnR a augmenté de 5% par an sur les 15 dernières années, a fait le choix d’utiliser des compensateurs synchrones sur son réseau. Grâce notamment à cette technologie, la production d’énergie solaire a compensé la totalité de la consommation électrique, le surplus en gaz, ayant été exporté aux états voisins.

Enfin, dans ce qui a trait aux services de minimisation de la congestion, les FACTS font également office d’excellents supports pour le contrôle des flux de puissance. L’un d’entre eux est le transformateur déphaseur (Phase Shift Transformer (PST)).

Le système PST permet de contrôler le flux de puissance active entre deux réseaux. Les PST n’augmentent pas la capacité des lignes elles-mêmes, mais si certaines lignes sont surchargées alors que de la capacité est encore disponible sur d’autres lignes parallèles, l’optimisation des flux d’énergie avec les PST peut augmenter la capacité globale du réseau. Ces dispositifs sont mieux adaptés en cas d’absence de congestion continue et de faible volatilité de la congestion.

En suivant le même raisonnement, les méthodes dites DLR (Dynamic Line Rating) affichent un fort potentiel.

Le DLR est une technologie qui utilise les propriétés thermiques des conducteurs aériens et souterrains et les données météorologiques pour déterminer l’ampacité des lignes de transmission en temps réel. Les résultats de plusieurs cas d’études ont montré que le DLR permet de limiter de manière significative les épisodes de réduction de la production éolienne, en particulier en hiver. C’est le cas d’Elia, le TSO belge, qui a décidé de mettre en œuvre le DLR sur son réseau de 70 kV dans le sud-est de la Belgique afin de minimiser la réduction de la consommation des parcs éoliens.

A l’échelle de l’éolienne, quelles solutions pour intégrer plus de ressource éolienne? 

L’intégration de solutions au niveau du réseau est plus lente et plus coûteuse que l’intégration de solutions au niveau de la turbine. C’est pourquoi les fabricants d’éoliennes et de parcs éoliens sont intéressés à fournir eux-mêmes la solution au niveau du système-éolienne.

Ces services sont, connus sous le nom de réponse rapide en fréquence (fast frequency response (FFR)) ou d’inertie virtuelle. L’idée principale de ces techniques est d’émuler le comportement des générateurs synchrones conventionnels pour permettre à une production renouvelable de s’adapter très rapidement à une déviation du signal de fréquence, par exemple en augmentant temporairement la puissance de sortie, contribuant ainsi à rétablir la fréquence du système.

Hydro-Québec a été une des premières entreprises à exiger des producteurs d’énergie éolienne qu’ils fournissent des FFR. L’approche d’Hydro-Québec – une exigence du code de réseau spécifique à toutes les éoliennes – diffère des approches axées sur le marché, telles que l’approche irlandaise et l’approche française, où la fourniture de FFR est définie comme un service de flexibilité commerciale avec des paramètres spécifiques et où les exploitants de centrales peuvent choisir de ne pas utiliser de FFR.

Le fonctionnement de ces nouvelles éoliennes a été démontré lors d’une panne de transformateur en 2015, au cours de laquelle 1 600 MW de production d’électricité ont été mis hors service, entraînant une chute de la fréquence de 60 Hz à 59,1 Hz. Lors de cet incident, une centaine de mégawatts de FFR ont été immédiatement fournis par les éoliennes, ce qui a réduit l’écart de fréquence d’environ 0,1 Hz à 0,2 Hz. Hydro Québec a estimé que cela était équivalent à l’effet d’inertie que les centrales électriques conventionnelles auraient offert.

Bien que la réponse immédiate du FFR ait été suffisante pour rester dans les marges d’urgence de fréquence, les éoliennes ont mis plus de temps à retrouver leur niveau de production nominal que les centrales électriques conventionnelles. Dans d’autres circonstances, le rétablissement de l’événement de 2015 aurait pu entraîner une autre baisse de fréquence, ce qui aurait pu causer une panne d’électricité. Les fabricants d’éoliennes conçoivent maintenant des éoliennes dont la réduction de puissance est limitée et qui respectent les nouvelles normes.

Pour décarboner le réseau : un mix de technologies s’impose 

Lorsque déployées, toutes ces technologies permettent aux réseaux électriques d’intégrer de plus en plus de sources d’énergie décarbonées. La poursuite de la recherche sur ces technologies est essentielle, pour permettre aux réseaux actuels d’atteindre des taux de pénétration renouvelable de 100%.

Les solutions de réseau intelligent sont également importantes, telles que les systèmes de surveillance à grande échelle WAMS-WAMC (Wide Area Management System and Control) avec mesure de phase et également les solutions appliquées aux réseaux de distribution, comme les systèmes dits « D-FACTS » (Flexible AC Transmission System dédiés au réseau de Distribution). Le Québec regorge d’acteurs privés ou publics, d’universités et de centres de recherche travaillant sur ces sujets comme Nergica, l’Université Laval, OPAL-RT et l’IREQ, pour ne nommer que ceux-là.

Si vous avez des solutions à proposer, contactez-nous: [email protected]

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